Coluche était fermé de l’extérieur

« C’est comme si c’était fait, patron ! » avais-je répondu avec un large sourire, selon une formule empruntée à Petit Riquet reporter, une bande dessinée qui m’avait servi d’école de journalisme. Aussitôt, je sautais sur mon vélo et grimpais quatre à quatre les marches de l’escalier menant à ma chambrette en soupente. J’arborais face à l’armoire à glace un casque colonial, une chemisette blanche immaculée et des culottes de cheval. Ma décision était prise : à nous l’aventure ! Une fille façon James Bond girl, à peine dissimulée par un minuscule bikini blanc orné d’un poignard de commando, m’accueille sur la piste. « RioT. I présume ? »Sourit-elle dans un anglais parfait. « Of course », répondis-je dans la même langue. Elle m’installe dans un hélicoptère noir aux vitres fumées, non sans avoir pris la précaution de me bander les yeux. « Bon sang -pensais-je- le bougre sait s’entourer d’un luxe de précautions ». Pendant que l’appareil prend de l’altitude, j’essaie de me souvenir de la biographie de l’artiste. Michel Colucci, dit Coluche, est aujourd’hui âgé de trente-cinq ans puisqu’il est né en 1948. De nationalité française, mais d’origine italienne, il a fait tous les métiers, dont marchand de fleurs avant de… Mais notre appareil touche le sol. Nous sautons dans une Range Rover blanche décapotable aux sièges en peau de zèbre. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. Nous approchons de la demeure du maitre, un vaste bungalow blanc de style colonial. La sous la véranda. Coluche en personne, se prélasse dans un fauteuil en rotin, protégé des mouches et autres insectes par des jeunes filles indigènes qui agitent des palmes au-dessus de sa tète… Je m’apprête m’élancer vers lui lorsqu’un individu me hèle. Mon sang ne fait qu’un tour : dieux du ciel, Michel Polac ! Cet aimable colonial à la barbe encombrée de colliers de fleurs, c’est bien lui ! A ma vue, le soporifique animateur se lève de son hamac pour venir à ma rencontre. Faisant mine, avec une présence d’esprit qui me surprend moi-même, de ne pas remarquer le caractère incongru de sa présenceen ces lieux, je lui parle à l’oreille : « Dites-moi, une seule chose m’ennuie, c.est que je n’ai pas réussi à trouver la moindre biographie de Coluche. C’est très embêtant, parce que mon rédacteur en chef… » Je n’ai pas le temps d’achever que déjà l’homme universel complète mon érudition : « Vous savez bien sûr que Michel (ses intimes l’appellent Michel) a commencé par apparaître dans des feuilletons télé avant de se joindre a l’équipe du Café de la Gare… ». A ce mot, je me frappe violemment le front avec la paume de la main, non seulement pour chasser un moustique, mais pour exprimer par la même occasion le retour soudain de ma mémoire : « Juste ciel, c’est pourtant vrai I A Paris dans lesannées soixante-dix, j’avais vu un spectacle à hurler de rire, dent le titre était »Des boulons dans mon yaourt ! ». A l’époque, la seule vedette connue étaiRomain Bouteille. Mais si vous retrouvez les petits inconnus qui l’entouraient, ils avaient pour nom Henri Guybet, Patrick Dewaere, une certaine Miou-Miou et… Coluche ! J’en étais là de mes réflexions lorsqu’un bruit de cavalcade attire mon regard. Un fier cavalier vient de bloquer des quatre fers sur la pelouse. Quelle n’est pas ma stupéfaction de reconnaitre Ronald Reagan, excellent acteur de films d’action au demeurant. Sans me préoccuper de vaines considérations politiques et ne songeant qu’a mon article, je cours vers lui : « Mister Président, j’ai un petit trou dans la filmographie de Coluche et, if you please… » A ces mots l’homme montre un sourire hollywoodien. »Well, you are not sans ignorer que Coluche débute au cinéma en 76 dans « Les vécés étaient fermés de l’intérieur », dans lequel il était un détective (en français dans le texte) aux cotés de Jean Rochefort. Un échec total qui a bien failli en faire le premier et dernier film de Patrice Leconte (venu de la bande dessinée) s’il n’avait pas réalisé « Les bronzes » par la suite. L’année suivante, ce sera le formidable duo forme avec Louis de Funès pour « L’aile ou la cuisse », de Claude Zidi. Mais il ne fait pas oublier non plus la première tentative de Coluche en tant que réalisateur en 78 avec « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ». Un bide retentissant. II faut dire qu’a ce moment-la, personne n’aurait reconnu Gérard Lanvin dans le rôle de l’imbécile chevalier blanc ! « Tout occupéà noter fébrilement ces renseignements précieux, je n’aperçois pas un individu en pare°, mais dont la tète s’orne d’une petite calotte. Je le catapulte au milieu des fleurs exotiques. Damned ! (si j’ose dire) as Sainteté le Pape! Ainsi donc lui aussi passe ses vacances sur cette île très secrète. Voila donc pourquoi elle est aussi sévèrementprotégée – Très Saint-Père, un tuyau vite-fait, s’il vous plaît Sans se faire prier (un comble), le Pape me précise qu’en 1980 Coluche retrouve Claude Zidi pour former un couple très inattendu avec Gérard Depardieu dans « Inspecteur la Bavure ». La même armée, il fait une apparition dans « Signé Furax », en hommage à Pierre Dac et Francis Blanche. En 1981, « Le maître d’école » de Claude Berri obtiendra un succès limité. Le triomphe ce sera  » Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ » dirigé par Jean Yanne, avant le « Banzaï » de Claude Zidi. Et enfin, la découverte d’un nouveau visage de Coluche, tendre, vulnérable et parfois même grave, grâce à, Bertrand Blier, dans  » La femme de mon pote ». Je commence donc à entrevoir les grandes lignes de mon article lorsqu’une phrase rituelle résonne dans ma tête: nous arrivons malheureusement à la limite du temps qui nous est imparti. Ca c’est la tuile. Je n’ai même pas réussi à faire l’interview de Coluche. Il me faut rentrer à Paris pour boucler le journal à temps. Ainsi, après avoir emprunté un palanquin, un pousse-pousse, un éléphant, une pirogue et la ligne Vincennes-Neuilly, je me retrouve un peu penaud, je l’avoue, dans le bureau du vénéré rédacteur en chef de RioT.Coluche

– Alors coco, j’espère que tu nous rapportes quelque chose de saignant, et je ne parle pas de tes notes de frais.

– Ben non, chef, je rentre bredouille. Parce que, à part ce qu’on peut trouver dans tous les dossiers presse, j’ai fais le voyage pour rien: sur l’île de Coluche, y a pas grand chose à raconter.

Un entonnoir nommé Poitiers, une désinformation des médias, un standard 8 mm fantôme et la croissance sauvage de la vidéo est stoppée en plein élan. Pour combien de temps? Et au profit de qui? Ou de quoi?

Toutes les prévisions des experts tablaient, pour l’année 1983, sur la vente de 900 000 magnétoscopes en France. 300 000 seulement seront en fait écoulés auprès du grand public. Une pareille cassure du marché plonge l’ensemble des professionnels dans une violente crise économique et morale. Les retombées sont multiples : vidéoclubs, duplicateurs, imprimeurs de jaquettes de vidéocassettes se trouvent touchés au même titre qu’industriels, importateurs et revendeurs de matériel. Chacune des parties prenantes au marché de la vidéo réagit à sa manière et chaque responsable selon son tempérament. Il était temps de dresser, en cette rentrée aux perspectives brumeuses, un constat des problèmes posés et un bilan des perspectives envisagées. 81-82, années bénies de la vidéo en France ! L’offre n’arrivait jamais à satisfaire la demande et cette situation semblait devoir se prolonger pour des temps illimités et heureux. Et les importateurs de commander, les vidéoclubs de se multiplier, les éditeurs de se ruer sur les droits de films cinéma. Dans ce climat idyllique, le blocage de Poitiers est intervenu comme une bombe. Car, pendant que cette profession prospérait, la balance économique de la France déclinait… Qui, profitant de cet engouement pour un média nouveau et libre, avait entrepris de fabriquer en France des magnétoscopes et des vidéo cassettes françaises ? L’appellation Thomson ne trompait personne sur l’origine de produits made in Japan. Faute d’imagination, d’esprit d’initiative ou de capacité d’accord, c’est, pour les seuls magnétoscopes, une manne de 926 877 000 francs pour le premier semestre 82, de 812 568 000 francs pour le second semestre 82 et de 454 570 000 francs pour le premier semestre 83 qui ont franchi nos frontières en direction du Japon, aggravant le déficit du commerce extérieur. Une situation intolérable, chacun en convient, représentants officiels comme professionnels. Bernard Roux, au Cabinet du ministère du Commerce extérieur explique : « Il ne s’agissait pas pour le gouvernement d’édicter des mesures protectionnistes puisqu’il n’existait pas d’industrie à protéger, mais d’amener le gouvernement et les industriels japonais à négocier, d’établir des accords d’auto limitation de manière à adapter le libre échange à un temps de crise. »C’est ainsi que 200 000 magnétoscopes se trouvèrent bloqués à Poitiers en attendant que le Japon conclut des accords de restriction avec la Commission des communautés européennes et que le gouvernement français mette en vigueur ses dispositifs de contrôle : « Les importateurs, rappelle Bernard Roux, sont aujourd’hui soumis à l’obligation de fournir au ministère une déclaration d’importation qui permet d’établir un suivi statistique, à priori, des dédouanements ». Pour éviter un afflux brutal des produits sur le marché, ce qui aurait fini de le déstabiliser, le « déblocage“s’opère par tranches mensuelles, depuis avril 83 jusqu’à la fin de l’année, soit un apport (théorique !) d’environ 25 000 magnétoscopes par mois sur le marché. Les quotas autorisés sont délivrés aux importateurs en tenant compte, semble-t-il, de façon qualitative, de la part du marché et de l’ancienneté de chacun. Cette limitation freinerait-elle les ventes ? Un marché noir du magnétoscope serait-il en train de s’implanter ! Non, les chiffres montrent que sur le premier semestre 83 les ventes de la distribution vers les consommateurs se sont élevées à 140 000 magnétoscopes, alors que les ventes de la production à la distribution n’ont pas excédé 120 000 unités : des stocks consécutifs aux méventes de Noël restaient donc chez les distributeurs. Les ventes d’avril, mai, juin ont été désastreuses tant sur le plan des appareils que des cassettes et des locations de bandes préenregistrées. Le soleil de l’été n’a pas aidé à renverser la tendance. « Nous nous trouvons face à un marché convalescent, explique Jacques Fayard, directeur de la commercialisation des produits grand public de Thomson. S’il était indispensable d’intervenir pour le gouvernement, les mesures choisies constituent de fausses solutions car elles entraînent une progression du recul des Français en matière de biens d’équipements et coupent le dynamisme de l’industrie française. Comme après une grève de la faim, il faut redonner petit à petit un nouvel appétit à la consommation ». L’alimentation du marché correspond pour l’instant à la demande du public. « A court terme, tant que la demande reste au niveau actuel, admet Philippe de Souza, directeur de la division grand public de Sony France, les mesures d’encadrement des importations ne présentent pas de gravité et n’en présenteront pas ailes quotas peuvent évoluer : un marché à 300 000 unités ne correspond pas à une situation nationale, et progressera. Toutefois, continue-t-il, tout système de quota choque un entrepreneur, même s’il comprend les phénomènes induits et accepte le libéralisme mesuré, car c’est un empêchement au développement naturel. »Et côté usager, lorsque le moral est bas, la consommation vidéo décroît. Car, au-delà du blocage de Poitiers et de la réglementation de l’après-Poitiers, les professionnels de la vidéo ont le sentiment d’être les victimes d’une manipulation tendant à sinistré le marché. L’orchestration d’un certain nombre de mesures, chacune justifiée isolément, crée chez le consommateur potentiel une réaction de méfiance vis-à-vis de la vidéo. Culpabilisé d’acquérir un matériel qui « fait sortir des devises », perturbé par l’annonce fallacieuse de l’apparition à court terme d’un nouveau format universel, le 8 mm, dissuadé par l’annonce d’une taxe de 471 F que le gouvernement envisage déjà d’augmenter de 30 %(612 F) et qui risque de le soumettre à des contrôles à domicile (difficilement possibles d’ailleurs), tenté par l’espérance d’une quatrième chaîne, Canal +, qui diffuserait des films dans un délai plus court après leur sortie en salle que celui autorisé pour les vidéo cassettes, l’acquéreur de magnétoscope hésite. « Le fait de fermer les frontières, précise Bernard Roux, n’a jamais découragé un besoin très fort. Quant à la taxe, elle n’est pasplus dissuasive que la vignette auto et il ne faut pas confondre prétexte évoqué et cause profonde. La désaffection du public vis-à-vis de la vidéo découle des effets d’anticipation du pian de rigueur : les Français, dans leur arbitrage, n’ont pas situé les produits vidéo comme choix prioritaires ». Résultat, l’écart se creuse entre le marché français et les autres marchés européens: 1200 000 magnétoscopes vendus cette année, en Grande-Bretagne, 1 500 000 en Allemagne Fédérale, une situation satisfaisante en Espagne… Le Français, eux, se retrouvent à la tête d’un stock de maté riel Secam (le Secam représentant 2 % du marché international) impossible reconvertir sur d’autres marchés, d’où des difficultés de gestion importantes. Le développement prévu du marché de la location de vidéocassettes préenregistré a également entraîné les éditeurs pas assez prudents à se lancer dans de frais importants que le débouchés envisagés leu paraissaient justifier. Ils sont maintenant dans une situation de sur investissement financièrement intolérable. Le témoignage de MichelBreno, directeur de DIA, est, à cet égard, significatif : « J’ai créé cette société en mai 1981, raconte-t-il, avec dix personnes, pour organiser une véritable distribution des programmes pré enregistrés, puis nous avons décidé de nous lancer également dans l’édition de vidéocassettes. La bonne santé du marché en 1982 a permis d’atteindre, dès septembre, un catalogue de 115 titres de tous genres, dans les trois formats ; l’équipe commerciale comptait 17 personnes dont le rôle devait être la prospection systématique de tous les points de vente en France, du petit club à l’hypermarché. En septembre notre équipe de vente venait de terminer sa formation, les pouvoirs publics bloquaient les importations de magnétoscopes dès novembre, et une campagne d’intoxication était menée pour un hypothétique format 8 mm… Malgré le désintérêt du public pour la vidéo, nous avons réussi, grâce à un suivi au plus prèseffectué par ordinateur, à maintenir une vitesse de croisière (5 millions de CA en 81, 10 millions en 82, 7 millions prévus pour 83) mais cette performance demeure insuffisante pour faire face aux nouvelles charges entrainées par notre politique d’expansion…Du coup notre force de vente a été réduite à neuf commerciaux, et une priorité a été donnée aux dessins animés etaux films X pour toucher une clientèle spécifique susceptible d’acheter des cassettes à moins de 300 francs ». Les vidéoclubs, en pleine phase d’investissement, comptaient sur un nouveau volant de clientèle pour amortir leurs frais. Devant la variété des propositions des éditeurs, la force publicitaire des titres nouveaux et la très rapide obsolescence des films, ils ont multiplié leur stock par trois alors que la demande a chuté et que de nombreux titres traditionnelsauraient pu constituer un fond de roulement sain. Face à cette situation, à la déroute des grossistes pendant le second trimestre 1983 et l’accroissement des impayés, les distributeurs se sont tournés vers des sociétés de factoring, essentiellement la Société française de factoring, SFF (64 % du marché français). Ces sociétés financent les factures auprès des éditeurs, mais se réservent le droit de refuser certains clients qu’elles ne jugent pas assez fiables financièrement. Aujourd’hui, 75 % des vidéoclubs examinés par la SFF se trouvent en état de cessation de paiement latent ou exprimé ; alors que la vidéo ne constitue que 5 % du chiffre d’affaires de cette société, elle représente 30%du total du contentieux… Le factoring a refusé plus de 50 % des dossiers proposés sur l’été 83, contre 8 à 9 % fin 82. Entre le 1er et le 30 juillet 1983, le montant des impayés s’élevait à 2,5 millions de francs. Dans ce contexte, les PME, les sociétés indépendantes, ne tiennent pas le coup. « Le gouvernement croit que tous les professionnels de la vidéo sont des majors américains ou des impérialistes japonais, déclare Jacques Chazeau, directeur de ThornEmi France. Si nous n’entreprenons pas la lutte immédiatement, continue-t-il, le gouvernement aura fait le travail des multinationales qui seules ont la capacité d’attendre et de tenir dans cette tempête. La gauche a montré comment combattre ; n’hésitons pas ! ». « Nous avons tenu à jouer le jeu honnêtement, explique Jacques Souplet, président du Gieev (Groupement d’intérêts économiques de l’édition vidéo). Mais aujourd’hui les dés sont pipés : les nouvelles dispositions instaurant un délai de neuf mois seulement entre la sortie d’un film en salle et sa diffusion, trois fois dans la même semaine, sur la quatrième chaîne de télévision seraient catastrophiques pour le marché de la vidéocassette préenregistrée ! Ces mesures rendent caduque la loi instaurant un délai de douze mois pour la commercialisation des films sur vidéo cassettes. Nous en avons averti Georges Filioud, qui comprend nos problèmes, mais remet à plus tard les décisions effectives. Nous réglerons nos problèmes avec les gens de cinéma: producteurs et distributeurs sont déjà favorables à la vidéo ; seuls les exploitants de salle, qui refusent la prise de risque, nous font barrage. Pour l’heure, notre politique est claire : nous continuerons à exprimer notre mécontentement par les voies traditionnelles et légales : pour le reste, nous ne déclarerons pas la guerre, nous souhaitons seulement que les pouvoirs publics nous oublient et nous laissent nous organiser dans un contexte de libre entreprise et non d’assistanat ». Dès juin, Jacques Chazeau a proposé à l’ensemble de la profession.: fabricants, duplicateurs, éditeurs distributeurs, clubs, de lancer une campagne publicitaire par souscription sur le thème du « Défi français pour la vidéo » qui n’a pas, semble-t-il rencontré d’échos chez les intéressés ; aujourd’hui, il écrit à C. Piéré, rapporteur à la Commission des finances, impliqué dans la taxe sur les magnétoscopes et promoteur d’une usine de duplication dans la région d’Epinal. Il souhaite rencontrer également des responsables du ministère de la Consommation, de Que Choisir et de 50 Millions de Consommateurs afin de relancer la lutte contre la piraterie : « 150 millions de francs échappent ainsi à l’État chaque année. précise-t-il, la piraterie constitue une injure aux créateurs, aux investisseurs, engendre une baisse de l’esprit d’entreprise ». Pour joindre l’action à la parole, Thorn Emi va distribuer sur le marché des cassettes munies de signes visibles et invisibles permettant de les identifier. Chez Sony, pas question non plus de se laisser aller à la morosité. « Il s’agit de soutenir le challenge, déclare Philippe de Souza, de redimensionner les investissements et les opérations commerciales en fonction du marché. La vidéo grand public est un phénomène inéluctable de fin de siècle… Mais, comme la télévision, le magnétoscope modifie le comportement à la maison et atteint les couches de population l’une après l’autre, par à-coups successifs. Des sociétés plus monolithiques comme le Japon, l’Allemagne et la Grande-Bretagne connais sent une évolution plus régulière de leur marché que la France et les États-Unis où des comportements mosaïques peuvent échapper aux prévisions des experts ». Thomson compte, pour affirmer sa position sur le marché, sur la licence de fabrication VHS que la firme française vient d’arracher à JVC et sur l’accord J 2T (JVC, Thomson, ThornEmi). Les composants spécifiquement VHS seraient fabriqués en France par Thomson, puis les pièces pourraient être assemblées dans l’usine de Berlin. Jacques Fayard espère qu’une intégration totale de la fabrication sera réalisée pour la fin 83, mais sa marge de manœuvre est faible puisque la consigne vient du gouvernement qui tient à honorer ses engagements. L’importance considérable qu’a pris le marché des programmes préenregistrés en France, le rôle déterminant qu’il joue dans les motivations d’achat de matériel, conduisent les professionnels à vouloir réorganiser la distribution pour augmenter sa rentabilité. Jacques Chazeau recherche pour Thorn Emi des formules inédites, envisageant de renforcer des liens directs avec quelque 500 points de vente leaders et de trouver des partenaires sérieux (grossistes, centrales de distribution ou partnership) pour assurer le contrat avec les autres clubs. Philippe de Souza explique qu’après avoir réussi sa première action qui était de veiller à l’existence d’un catalogue de films en Bétamax, Sony va maintenant veiller à sa bonne distribution. « A terme, explique-t-il,quand la consommation de films pénètrera 30 à 40 % des foyers, si les éditeurs savent mener une politique culturelle ambitieuse, le magnétoscope servira le cinéma, tout comme le microsillon permet aujourd’hui de remplir les salles de concert ; pour l’heure beaucoup d’efforts sont à mener en termes d’éducation, les pâles séries B réalisant de bien meilleurs scores de location que le cinéma d’auteur ». Une guerre, mi-officielle mi-souterraine est ouverte. Entre les professionnels de la vidéo, les consommateurs et les pouvoirs publics, un enchevêtrement de tranchées masque encore la véritable géographie du terrain. Mais une chose est sûre : l’offensive vidéo triomphe actuellement non seulement partout en Europe, mais aussi aux États-Unis, ce qui est un phénomène tout nouveau. La France pourra-t-elle résister au courant de l’histoire et tuer un média inéluctable ? Il faudrait réellement un sacré sinistre – ou ministre – pour en arriver là…

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