Un battant nommé Mel Gibson

Lee International Studio, banlieue nord de Londres : sur le pont d’une goélette, entièrement reconstituée sur le plateau, l’équipage du Bounty, sous le commandement du capitaine Bligh (Anthony Hopkins) et de son second, Fletcher Christian, s’apprête à quitter l’Angleterre. Destination: les mers du Sud. D’étranges fantômes rôdent sur le tournage de la troisième version d’un classique du cinéma (« Les révoltés du Bounty »), mis en scène par Roger Donaldson. Ceux de Clark Gable (1935) et de Marion Brando (1962), interprètes à l’écran de Fletcher Christian. Pour leur succéder, le producteur Dino de Laurentiis a choisi pour ce rôle Mel Gibson. Cheveux longs, petit foulard et costume de marin de Sa Majesté à larges manches, comment le reconnaître dans ce mutiné aux allures de mousquetaire? C’est pourtant le même homme qui a remporté un fantastique succès avec «Mad Max», Héros sans peur et sans reproche, bardé de cuir, survivant d’un monde ravagé par la violence de gangs de motards et de maraudeurs à la recherche de quelques litres de pétrole. Mel Gibson, c’est la nouvelle coqueluche d’Hollywood. Un aventurier venu, non pas du Far West, mais de l’Australie. Un baroudeur de charme. Regard bleu, visage carré, mâchoire volontaire, il se qualifie pourtant volontiers de « Yankee australien ! »Mel Gibson En effet, Mel Gibson est citoyen américain. Né à Peeksill(Etat de New York), en janvier 1956. « Quand j’avais cinq ans, avec ma famille, dix frères et sœurs, nous sommes allés vivre dans une petite ville au nord de Peeksill, qui s’appelle Mount Pleasant. Je me souviens surtout de la neige et du froid, et j’en avais assez ». En 1968, la carrière de son père, employé des chemins de fer, conduit les Gibson à émigrer en Australie. Mel, s’il a gardé sa nationalité américaine, possède un statut de résident permanent en Australie. Toutefois, il avoue ne pas conserver une grande affection pour les États-Unis, préférant ses origines «kangourou». Toute mon adolescence à Sydney m’a servi à apprendre à partager, à me battre pour manger, car l’Australie était alors en plein développement économique. C’est un pays à construire, encore aujourd’hui. Battling Gibson ! Il n’a qu’une idée en tête, poursuivre son rêve : devenir acteur. Il s’inscrit à l’École nationale d’art dramatique de Sydney, dont il sort diplômé en 1977. En même temps, il intègre une troupe de théâtre, où il joue le répertoire de Shakespeare. Roméo, il ne fera que passer, car Mel Gibson veut se lancer au cinéma. Il bénéficie d’une double chance : le septième Art est en Australie en plein renouveau, et un certain George Miller, médecin, a besoin d’un jeune acteur pour en faire l’interprète de son premier film : «Mad Max». «J’avais un trac incroyable pour passer des tests, explique Mel. J’avais juste joué deux ans auparavant dans un film pour adolescents, réalisé en 16 mm par Christopher Fraser, intitulé «Summer city». La veille de mes auditions avec George Miller, je m’étais bagarré dans un bar avec un loubard, et j’avais mis des lunettes noires pour cacher mes yeux tuméfiés. Le bout d’essai avec George Miller a été convaincant, puisqu’il m’a engagé immédiatement pour incarner Mad Max». Réalisé en 1978, ce film d’action ressemble beaucoup à un western des temps modernes. Mel Gibson ne prononce pas un long texte – à peine plus de vingt lignes – en revanche, il se défonce physiquement au volant d’un bolide. A tout casser. Résultat : « Mad Ma »est classé X par la censure française, même s’il obtient un triomphe partout dans le monde. «Pour moi, dit Gibson, cela ressemblait à un véritable dessin animé. George Miller n’avait pas d’expérience, la preuve, c’est que lors du tournage des scènes dangereuses, un cascadeur et une actrice ont été grièvement blessés. «Mad Max» c’est une chasse à l’homme, l’histoire d’une vengeance comme j’en lisais quand j’étais kid». Devant la notoriété, le jeune homme ne perd pas son calme. Il sait qu’il lui faut attendre une prochaine occasion pour faire la preuve de son talent de comédien : «Je craignais, dit-il, d’être enfermé dans le personnage du survivant de l’Apocalypse, du guerrier invincible». Heureusement, Peter Weir, un autre chef de file de la nouvelle vague australienne, lui offre un rôle très différent en 1980 avec «Gallipoli». L’histoire ? La défaite héroïque, en 1915, d’une troupe de volontaires australiens forcés de débarquer au pied d’une falaise turque quasiment imprenable. Un récit tragique mené au travers de deux bidasses réunis par les hasards de la guerre et du sport. La création de Mel Gibson est superbe. «Gallipoli» ne sera pas un succès commercial. Il faut même attendre 1982 pour qu’il soit enfin distribué en France. Qu’importe, Mel Gibson tourne déjà «Mad Max 2». Douze semaines de travail, trois milliards de dollars australiens, plus de 1500 kilomètres à travers le pays, un camion-citerne, le massacre de plus de 40 voitures et motos sont nécessaires à cette seconde réalisation de «Mad Max» Une gageure ? Certes, mais sans gros risques. L’audience sera très grande. «Mad Max 2» obtient le grand prix du Film fantastique d’Avoriaz 82 et obtient un vif succès en août de la même année sur les écrans français : plus d’un million de spectateurs pour ce duel de gladiateurs d’un autre monde. Aux États-Unis, le film sort sous le titre «The road warrior». Mel Gibson se voit proposer un fabuleux contrat par le producteur Robert Stigwood, ex-manager du groupe anglais les Who et richissime depuis le succès de «La fièvre du samedi soir», avec John Travolta. «Cette suite était une bande dessinée très artistique, déclare Mel Gibson. Elle avait la perfection d’une excellente série B, et tout le monde voulait la voir et la revoir». Un Australien à la conquête des studios américains. C’est ce qui arrive à Mel Gibson et à son ami le réalisateur Peter Weir. «Après notre collaboration sur «Gallipoli», je savais que nous devions faire un autre film ensemble, dit-il avec conviction. Peter Weir avait découvert le livre de C.J. Koch «The year of living dangerously» (L’année de tous les dangers). Le roman lui avait plu. Emballé, il avait acheté les droits, quelques semaines avant le tournage de «Gallipoli», ayant appris que Francis Ford Coppola avait la même intention. Sans même avoir lu le scénario, j’ai donné mon accord à Peter Weir». La MGM investit dans la production de «L’année de tous les dangers». Scénario : Djakarta 1965, Guy Hamilton alias Mel Gibson, correspondant d’une chaîne de radio australienne, veut décrocherle scoop. Le pouvoir du président de l’Indonésie est menacé par un mystérieux complot communiste. Un putsch militaire se prépare… Le pays est au bord de la révolution, de la guerre civile. Mais le journaliste a besoin d’indics pour obtenir des informations sur les événements qui se déroulent dans un pays qu’il ne connaît pas. Un cameraman, nain d’origine chinoise (interprété magistralement par l’actrice Linda Hunt) et une attachée de l’ambassade d’Angleterre, Jill (Sigourney Weaver, vue dans «Alien») l’aident. Un cadre exotique. «Aux Philippines, la réalité a rejoint la fiction pour le tournage, dit Mel. Nous avions besoin de grandes foules orientales, et nous avions choisi Manille pour six semaines. A peine débarqués, nous avons reçu des menaces téléphoniques. Vous partez, ou nous viendrons vous chercher. Pourtant, Peter Weir et son équipe ne se sont pas laissé intimider. Il y avait dans certaines scènes des centaines de figurants qui s’agglutinaient autour des caméras. L’atmosphère était tendue. Ce fut le cas lors des prises de vue de l’«assaut» de l’ambassade américaine par les communistes. Six mille personnes scandaient des slogans anti-impérialistes comme il leur avait été demandé. Mais, soudain, certains se sont mis à crier que le film était anti musulman et que nous insultions leur religion. Le soir, nous avons tenu une réunion pour savoir si nous devions continuer le tournage dans de telles conditions ou partir». Le lendemain, la décision était prise de quitter les faubourgs de Manille pour… l’Australie. Pour des raisons de sécurité. Autre climat : la scène de la piscine, où le journaliste rencontre l’attachée d’ambassade, sera tournée dans le froid. Dll coup, Mal attrape une pneumonie. «Autre problème, confie Mal Gibson, la taille de Sigourney Weaver, elle mesure dix centimètres de plus que moi» ! Sélectionné pour représenter les États-Unis en compétition officielle au dernier Festival de Cannes, «L’année de tous les dangers» n’obtient aucune récompense. Même si on découvre un Mad Max métamorphosé, portant smoking et déambulant sur la Croisette; en vrai festivalier bon chic-bon genre. «Mel Gibson, dit Peter Weir, évoque James Cagney à ses débuts». D’autres parlent d’un nouveau John Wayne. Le jeune comédien sourit. Il estime qu’il doit travailler encore beaucoup pour atteindre le talent de ces monstres sacrés du cinéma. «J’avoue que deux films de Sydney Lumet, «Serpico» et «Un après-midi de chien», interprétés par Al Pacino, m’ont influencé dans mon jeu d’acteur, dit Mel. Leur impact a été très fort sur moi alors que j’étudiais à l’École d’art dramatique de Sydney. Ce que le réalisateur Lumet arrive à tirer de ses comédiens est extraordinaire. Rappelez-vous aussi «La colline des hommes perdus», avec Sean Connery, je n’avais encore jamais vu d’exemple d’une performance aussi brillante». Avec la superproduction «Les révoltés du Bounty», Mel Gibson est confronté à de nouvelles responsabilités. «Au départ, c’est David Lean, un réalisateur habitué aux gros budgets (« Lawrence d’Arabie», «Docteur Jivago»), qui devait diriger le film, sur un scénario de Robert Boit. Devant son refus, Dino De Laurentiis a demandé à un quasi inconnu, mon compatriote australien Roger Donaldson, de mettre en scène ce remake. J’ai accepté ce merveilleux voyage sous sa direction. Ce sera un film à grand spectacle avec de magnifiques paysages ». Après cette épopée, Mel Gibson s’attaquera à « The river » de Mark Rydell avec Sissy Spacek. Un beau couple. Puis il tournera «Running man», un polar de Stuart Rosenberg avec Nastassia Kinski, Rachel Ward, Lesley Ann-Down. Et peut-être «Mad Max 3». Si Hollywood le réclame, la vedette n’a pour le moment aucune intention de s’installer dans la Mecque du cinéma, ni de retourner vivre dans l’État de New York, où il est né. Son coin de paradis, c’est sa petite maison de la banlieue de Sydney près de la mer. Là, il mène, dès que son emploi du temps le lui permet, une vie tranquille avec sa femme, Robyn, sa fille, Hannahn, et les jumeaux Edward et Christian. «Je n’ai aucune idée sur ce qu’il faut faire pour être une star. Je sais simplement que j’essaierai d’être le meilleur à chaque film. Mais je n’ai que 27 ans, tout est venu si vite que je souhaite qu’on me laisse le temps de progresser à chaque personnage». Difficile quand on sait qu’avec seulement quatre films, Mel Gibson s’est imposé comme l’une des valeurs or de l’écran.

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